Dans la continuité de nos échanges avec les professionnels du secteur, nous partageons aujourd’hui le retour d’expérience et la vision d’une experte en Revenue Management : Pauline Billette. A la tête de Revup Conseil elle donne ici sa vision et aussi ses recommandations pour anticiper la reprise.
Pauline Billette : Force d’un parcours de plus de 15 ans dans les grands groupes hôteliers, en revenue management, en commercial, en cluster de réservations, Pauline est une experte en revenue Management incontournable sur le marché.
Fondatrice de Rev Up Conseil elle accompagne ses clients depuis 2012 pour leur permettre d’améliorer leur performance commerciale de manière durable.
Intervenant en France et à l’international, RevUp Conseil transforme les pratiques traditionnelles du Revenue Management, de la distribution et de la fonction commerciale. Orienté performance et conduite du changement, ce cabinet a la réputation de challenger les acquis pour aller dénicher les leviers d’optimisation dans les moindres détails afin de créer de la valeur. L’équipe est composée exclusivement de revenue managers seniors qui apportent à leurs clients immédiatement des idées innovantes, de la méthode et des outils les conduisant à l’autonomie.
Tovalea : quelle est votre retour d’expérience sur votre gestion de la crise ?
Nous suivons actuellement les performances d’environ 60 hôtels, allant de l’hôtel 3 étoiles en bordure d’autoroute au Resort 5 étoiles et situé en France.
Dès février les prises de réservations ont commencé à ralentir mais c’est vraiment autour du 29 février que l’on a constaté la forte chute des réservations et cela suite à l’annonce par le Gouvernement de l’interdiction des rassemblements.
Ensuite, à partir du 12 mars, la fermeture des écoles et universités a provoqué un énorme plongeon supplémentaire pour les mois de mars d’abord et avril ensuite.
A partir de là, la dimension humaine et sociale étant prioritaires, nos clients se sont concentrés sur la gestion de leur fermeture opérationnelle ; la gestion des annulations et réservations n’était pas prioritaire à ce moment-là.
Selon les structures et organisations, les établissements, groupes, sociétés de gestion ou fonds d’investissement que nous accompagnons ont mis plus ou moins 1 semaine à organiser le travail à distance des équipes et à fermer les établissements.
Les petites structures ont été extrêmement réactives, fermant en quelques jours seulement et sans surprise, les organisations plus grandes, avec une gestion centralisée depuis un siège ont mis plus de temps à s’organiser, n’ayant pas toujours prévu le travail à distance de ces fonctions.
Ce qui m’a frappé c’est l’agilité des petits groupes et leur capacité à prendre des décisions très rapides. Par exemple, le groupe Timhotel a réussi en l’espace d’une semaine à peine à mettre à disposition un de ses hôtels au personnel soignant quand de très grands groupes internationaux ont mis plusieurs semaines à le proposer lié à une inertie plus grande du fait de leur taille, ce qui impacte leur réactivité dans une telle crise.
La capacité décisionnelle a été clé dans la gestion de cette crise. Décider vite et agir vite. Cela aura mis en exergue le besoin pour les structures gérant plusieurs hôtels et les grands groupes, de mettre en place des comités de crise stratégiques comme opérationnels permettant de raccourcir les circuits de décision et d’accélérer les mises en œuvres opérationnelles.
Tovalea : quelle est votre visibilité d’aujourd’hui à septembre ?
Je ne crois pas à une reprise immédiate en fin de confinement. Je pense que la peur de se déplacer et de voyager va durer plusieurs mois. Ce qui parait évident c’est que le tourisme, sera franco-français cet été au moins. Il faut dire haut et fort aux français de consommer dans les infrastructures si belles et si nombreuses qu’ils ont à disposition dans leur pays. Pour cela, il faudra qu’ils n’aient pas trop perdu de pouvoir d’achat ce qui reste à voir.
France : les établissements hôteliers de type Resort et l’hôtellerie de plein air, proposant de vrais espaces extérieurs aménagés, auront une carte à jouer. Le confinement donnera sans doute très envie de se mettre au vert et d’avoir de l’espace !
Il semble du coup intéressant de s’interroger : qui va bénéficier le plus de ces reports et envies des consommateurs français ? Les hôtels, l’hôtellerie de plein air, Airbnb avec ses maisons à louer ? Je milite pour que les hôteliers adaptent très vite leurs offres et leurs infrastructures pour donner envie aux français d’aller chez eux !!
- 3-4 étoiles au vert : Ils doivent s’intéresser dès maintenant à construire leurs offres « famille ». Eux qui avaient pléthore de clientèle internationale de couples ou de loisirs individuels, devraient revoir leur offre en ce sens, à savoir accueillir des familles, adapter leurs produits, leurs packages, leurs prix, cibler les bons partenaires de distribution et préparer leur communication pour capter cette clientèle.
- Les 2-3-4 étoiles (business) : je pense que de juin à septembre les PME PMI françaises ayant résisté vont envoyer leurs équipes sur le terrain pour re-dynamiser leur business mais à quel point cela suffira pour remplir ces hôtels…
- Hôtels parisiens et en particulier les 4 et 5*: ils vont beaucoup souffrir puisque plus de 60% des nuitées sur paris proviennent des marchés étrangers. Et je ne vois pas comment ces clientèles, les Américains en particulier, vont revenir avant… 2021.
Tovalea : quelle est maintenant votre visibilité septembre à décembre ?
J’ai bon espoir que les ETI et grandes entreprises Françaises vont avoir besoin de réunir leurs équipes, mais cela se passera au niveau domestique, le MICE pourrait repartir à ce moment-là.
Les congrès internationaux : Il va falloir dissiper la peur, la sortie d’un médicament ou d’un vaccin permettra de rassurer tout le monde, et dans ce cas les congrès reprendront mais il risque de s’écouler plusieurs mois avant que cela ne se concrétise.
Les statistiques ne sont pas encore disponibles, mais j’attends impatiemment de voir la proportion d’événements qui seront décalés de ceux qui seront annulés.
Tovalea : quels sont vos conseils aux hôteliers en tant qu’experte en revenue management ?
Nous avons décidé de proposer en accès libre sur notre site et sur Youtube, des tutoriels « Le Tuto du Jour » donnant des clés pour gérer son revenue dans la situation actuelle. Un plan d’action à mettre en place pendant le confinement et des fondamentaux à travailler pour être prêt à la sortie du confinement.
Vous les trouverez dans le lien suivant →: https://www.youtube.com/channel/UCQPMXKMDVpgWWqLQIJDxkkw
Voici les axes principaux d’actions qui nous semblent clés :
- Les hôtels doivent créer des chartes d’hygiène et le faire au niveau national pour répondre à la peur sanitaire des clients. La France pourrait s’inscrire en locomotive en ce sens. Avec un label estampillé par l’OMS par exemple et annonçant qu’en France tout est mis en place. un label rassurant à l’international. Sébastien Bazin en a parlé cette semaine d’ailleurs lors de son interview sur C à vous et je crois que c’est la priorité absolue pour notre secteur.
Cela implique pour les hôtels de mettre une communication sur les protocoles sanitaires qu’ils auront mis en place.
- Faire le ménage dans ses portefeuilles de réservations jusqu’à fin août, il faut contacter les clients pour savoir qui annule, qui attend avant d’annuler, qui veut être remboursé etc. c’est indispensable pour avoir une bonne visibilité et planifier vos choix d’actions commerciales.
- Une fois ce ménage fait, il faut préparer des prévisions d’activité qui devraient vous pousser ensuite à définir vos nouvelles offres tarifaires, leurs prix, leurs conditions de vente. Il va falloir changer votre structure tarifaire, pas de doute là-dessus…
Suivez le lien du « tuto du jour » sur ces problématiques → https://www.youtube.com/channel/UCQPMXKMDVpgWWqLQIJDxkkw
Les clients seront Français jusqu’à fin 2020. Pour survire, il faudra donc adapter ses produits, ses offres, ses prix, son marketing et sa communication pour répondre à leurs attentes spécifiquement.
Tovalea : En quoi pensez-vous que le comportement d’achat va changer ?
Au-delà des aspects liés à la sécurité sanitaire, les clients qui achetaient des offres très discountées avec des conditions restrictives vont être échaudés par la gestion des annulations … cela parait donc évident que les offres non annulables non échangeables ne seront plus attractives pendant un bon moment… même contre un discount tarifaire important.
Je n’ai pas d’élément concret pour l’instant indiquant si les clients vont éviter de consommer ou au contraire se lâcher et se faire plaisir… il est trop tôt pour savoir.
Tovalea : quels sont vos conseils en termes de gestion du RM dans les 18 prochains mois ?
- Prix : Tout le monde se demande si les prix vont devoir baisser pour capter les clients. Et tout le monde, sur le papier, sera d’accord pour dire qu’il est préférable de limiter la baisse des prix … mais la réalité sera toute autre.
Là aussi, nous avons abordé les différentes étapes dans l’un de nos tutoriels. En synthèse, mesurez vos indicateurs de gestion, définissez votre Revpar net minimum à générer pour survivre cela vous permettra d’établir vos prix de vente minimums acceptables pendant la période à venir. Cela donnera un cap à vos équipes qui gèrent vos prix. Quoi qu’il en soit, ne faites pas vos prix par rapport à ce que les concurrents feront, observez les bien sûr mais ne calquez pas vos prix sur eux. Il va y avoir des pratiques tarifaires dénuées de sens.
Ceux qui resteront sur leurs anciens prix et anciennes pratiques n’y arriveront pas. Seuls les plus agiles vont s’en sortir.
- Pratiques de yield : c’est-à-dire comment moduler ses prix dans la période à venir, c’est à caler sur mesure bien sûr mais clairement, c’est encore plus important dans la situation actuelle, dès que les hôtels vont rouvrir, de mettre des prix attractifs et lorsqu’il y aura du pick up conséquent, augmentez les prix mais de façon très graduelle et fine, plus progressivement qu’avant. Pratiquement à l’euro près. Cela nécessitera encore plus de dynamisme sur le suivi de vos pick up… 1 chambre achetée = j’augmente de 1 euro de plus pour vendre la suivante…
Beaucoup d’hôtels ne sont pas équipés des bons outils, ma recommandation : équipez vous maintenant !
C’est le moment de changer son vieux PMS, de changer son chanel manager, de mettre en place son outil de BI ou son outil de revenue management. Beaucoup d’hôteliers ont encore des outils lourds, peu agiles, ils ne se rendent pas compte à quel point ces outils les phagocytent dans leur gestion, leurs analyses et leurs prises de décision. Avoir les bons outils était déjà clé avant la crise mais l’absence d’activité actuelle est en fait une formidable occasion de se mettre à jour et d’installer les bons outils pour être plus performant lors de la reprise de l’activité.
- Communication : travailler sa communication nous semble impératif : parler à ses clients déjà, choisir ses cibles, préparer ses messages ciblés, ses supports de communication, d’adapter son site web pour répondre à ces clients, compléter ses contenus, les dynamiser avec plus de visuels, plus de vidéos etc. utiliser les réseaux sociaux pour s’adresser à ses cibles. Bref, les hôtels devraient déjà être en train d’établir leur planning détaillé de communication de l’après confinement pour être prêt à donner envie sur la durée.
Il va falloir attirer des clients franco-FR, la seule part de gâteau avec du potentiel pour cet été… C’est le moment de faire travailler les agences digitales, tellement important pour aller chercher de nouveaux clients.