À l’aube de mes 50 ans (48 exactement) je me suis demandé quelle serait aujourd’hui ma place dans l’hôtellerie si j’étais amenée à y chercher un emploi. Je constate également la difficulté pour le secteur à recruter les jeunes générations qui boudent nos métiers, et inversement, une vague d’investisseurs jeunes quadragénaires en quête d’opérationnels expérimentés pour accompagner leur croissance. Ma génération serait-elle la tranche capable de dynamiser l’emploi de cadres dans notre secteur ?
Quelle serait la(les) solution(s) pour trouver un équilibre intergénérationnel face à la pénurie de talents que nous rencontrons aujourd’hui ?
Générations Y-Z, 20-30 ans : volatiles
Les jeunes générations ont bien compris que leur crédit jeunesse du « tout est possible », c’est aujourd’hui. Ils sont mûrs très tôt et connectés depuis leur plus jeune âge. A l’adolescence, on les voit déjà bien au courant de l’état du monde et de la réalité de la vie.
En quête de sens…
Ils ont vu leurs parents (nous) rentrer le soir épuisés ou ne pas rentrer du tout, avec un sourire de façade sur un teint blafard, exprimer haut et fort « J’aime mon métier». Ils n’ont pas envie de vivre leurs premières années de vie active avec les mêmes contraintes.
(A titre informatif, chez Tovalea nous constatons que seuls 1% des enfants d’hôteliers travaillent dans l’hôtellerie)
La génération de nos enfants ou celle qui précède se comporte totalement différemment de nous, fils et filles de mai 68, au même âge. Nos parents, encore empreints de reliquats éducatifs « à l’ancienne », ne nous ont pas trop laissé le choix. Ils ont fait de nous de bons petits soldats.
Beaucoup d’entre nous ont embrassé le métier d’hôtelier à 20 ans, voire, en plongeant dans le bain opérationnel sans psy, coach ou autre préparation, à travailler 14h par jour, 6 jours sur 7, sans trop parler salaire ni se poser de questions sur le sens de tout cela. L’idée était d’apprendre et de faire carrière.
Quand nos parents roulaient en diesel en fumant dans la voiture, nos jeunes ont déjà compris le sens de « perdre sa vie à la gagner » sur une planète en voie de disparition.
Nous constatons bien, chez Tovalea, que de plus en plus de jeunes carrières démarrent par 1 an d’expérience en hôtellerie suivi de 6 mois de tour du monde, ou simplement un autre poste, ailleurs. S’enrichir, bouger, fuir les tâches à répétition, en quête de restaurants pleins et de concepts funs, changer d’expérience, d’univers, de lieu, voire de métier.
L’ensemble de notre profession s’interroge sur ces jeunes qu’elle n’arrive pas à capter aux postes par lesquels nous avons pourtant commencé sans rechigner : réceptionniste, chef de rang, bref tous les postes opérationnels indispensables pour lesquels nous peinons tant à recruter aujourd’hui.
Les générations Y et Z sont en quête de vérité, pragmatiques, elles recherchent des postes enrichissants intellectuellement. Elles imposent ainsi au marché la démocratisation des sauts de puces professionnels : ils sont désormais justifiés : je change de poste pour apprendre, pour m’enrichir. Faire un tour du monde m’ouvre à d’autres cultures. Aujourd’hui, rester plus de 3 ans dans un même poste et/ou dans une même entreprise n’est plus tant preuve de loyauté mais signe d’inertie.
La jeune génération fonctionne en mode projet, avec une approche du métier mûre et décontractée, n’ayant plus pour but de faire carrière mais de s’épanouir, d’abord. Volatiles, ils ne s’engagent pas pour 10 ans mais resteront le temps d’une mission, 2 ans voire 3 grand maximum. L’employeur doit donc se saisir vite de leur potentiel pour que ces jeunes donnent le meilleur d’eux-mêmes. Pour cela il ne faut pas les cantonner dans un moule pyramidal, mais leur proposer latéralité, autonomie et un projet porteur de challenge, à la promesse transparente. Se plier à la règle et aux codes ne vaut que si cela a du sens et si les apprentissages à leur bénéfice sont réels et sérieux. On travaille d’abord pour soi plus que pour le bien de l’entreprise.
Qui a compris cela ?
Générations 30-40 ans : parents débordés
Il n’est pas facile d’être jeune parent particulièrement dans nos métiers hôteliers, très opérationnels. Cruel paradoxe et exercice de jonglage difficile. Il fut chose courante en France de rester tard en poste pour montrer sa motivation et évoluer en carrière. C’est aussi encore l’attente dans beaucoup d’hôtels et d’entreprises où la contrainte horaire en mode « no limit » pour les managers est réelle et sérieuse. Quel manager hôtelier n’a pas reçu un jour un coup de fil de son patron à 19H30 avec la fameuse question : « Où êtes-vous » ?
Nos métiers opérationnels sont liés au terrain, et nécessitent présence, disponibilité. L’hôtellerie ne se prête pas au Home Office pourtant en boom dans d’autres secteurs.
Très pris par ce métier, les trentenaires ne veulent plus passer à côté de leurs enfants et font soit des pauses, soit se mettent en décroissance : je vois souvent des candidats refusant une opportunité et souhaitant garder leur poste et un confort compatible avec une vie de jeune parent. La grande différence d’il y a encore 10 ans, c’est qu’aujourd’hui les pères ont eux aussi envie de passer plus de temps avec leurs jeunes enfants. Les femmes travaillent et ne souhaitent plus interrompre leur parcours professionnel. Le break lié à la maternité, autrefois pratiquement systématique à partir de deux enfants pour les cadres, est en train d’évoluer. Beaucoup de candidats souhaitent prendre un vrai relais de leur épouse travaillant aussi, mettent leur carrière entre parenthèses pour s’occuper des enfants lorsque leur compagne souhaite booster la sienne. Pour l’employeur, c’est parfois un casse-tête : autrefois l’apanage des femmes, un congé maternité ou parental va aussi désormais toucher les hommes.
Génération 45-55 : libérés et disponibles
Nous y voilà.
Il y a encore 10 ans il était extrêmement difficile après 45 ans de retrouver un poste progressif en carrière. Catastrophique de se retrouver sans emploi à cet âge. Les plus seniors encore étaient catalogués comme ancienne génération n’ayant plus sa place dans une hôtellerie « moderne » (NDLR : la modernité est laborieuse, notament en termes de RH, encore aujourd’hui, dans notre secteur) Cela a formidablement changé et je constate avec un immense plaisir que l’âge n’est plus un critère discriminant.
Cela est dû, à mon avis, à plusieurs critères :
- Parents d’enfants autonomes
A 45-50 ans les enfants sont autonomes, les parents beaucoup plus disponibles. Un atout tant pour les employés que pour les employeurs toujours stressés par l’indisponibilité des 30-40 ans.
- Rassurants pour les jeunes générations et les jeunes investisseurs
Dans un monde anxiogène et une compétitivité accrue, la présence de quelqu’un de stable, d’expérimenté et mature est un véritable atout rassurant au sein d’une équipe plus jeune. Je le constate tous les jours au cabinet depuis l’arrivée de Catherine, 58 ans, notre RAF qui a pris ses fonctions chez Tovalea Executive Search il y a deux ans. Après 14 ans d’inactivité professionnelle pour s’occuper de ses enfants, Catherine, qui fut Directrice générale d’hôtel en seconde phase de carrière, a retrouvé immédiatement le sens des affaires, de la compétitivité et représente une valeur ajoutée de taille au sein de mon entreprise, qui emploie également 2 chargées de recherche génération Y-Z (23 et 28) et une consultante génération 30-40 (33).
Ce mix générationnel est un atout pour une entreprise : les jeunes générations s’appuient sur le côté protecteur, expert et solide de la personne plus senior et inversement celle-ci se dynamise au quotidien, challengée par les jeunes générations en quête de questions, de sens et d’expérience.
« Aujourd’hui, la légitimité est devenue beaucoup plus importante que l’âge ou la hiérarchie liée au titre »
Il est très important de comprendre qu’il ne suffit plus d’avoir le titre de directeur ou de manager pour être écouté et surtout pour fédérer des équipes. Et ce n’est pas parce que l’on a passé les 45 ou 50 ans que l’on a perdu le sens de la créativité, du dynamisme et que les idées ne fusent plus.
Au contraire, ces âges sont ceux de l’épanouissement : les enfants ont grandi et on a du temps, de l’envie pour cette dernière grande ligne droite avant la retraite. Les seniors qui savent relativiser et prendre du recul n’ont plus rien à prouver ni à perdre. Ils prennent la vie et les épreuves avec philosophie, patience et pragmatisme. Je trouve que cette génération a un réel potentiel pour nos clients jeunes investisseurs qui, n’étant pas hôteliers, sont très preneurs de leur expérience, de leur expertise métier et de leur capacité à donner un temps de qualité à l’entreprise pour l’inscrire dans l’avenir et la pérennité.
Enrichir et repenser les postes pour reprendre contact avec le bon sens générationnel
Je remarque que du côté candidats et candidates, chaque génération représente une force pour des employeurs qui sauront prendre du recul et être dans l’écoute et l’accueil de leurs besoins à condition de les mettre en synergie.
Un mix harmonieux des trois phases de vie, 22-30, 30-40 puis 45-60 peut être un atout majeur pour une entreprise hôtelière, comme au sein d’une famille où chaque génération apporte à l’autre. Je trouve les employeurs hôteliers encore trop classiques et traditionnels dans leur façon d’entrevoir ces générations avec des a priori sur chacune d’entre elles, parfois douteux.
Exemple : « Les jeunes ne veulent plus travailler… impossible de trouver des réceptionnistes » c’est vrai, mais a-t-on repensé le poste et l’intérêt qu’il apporte ? Le réceptionniste est prié de présenter impeccablement, parler anglais couramment, travailler en shifts contraignants, pas toujours bien payé, et on lui demande de sourire, en front line devant le client. Pas en phase avec les Y-Z !
Conclusion
Avant de chercher à recruter, il faudrait déjà repenser nos postes hôteliers. Je connais des Directeurs Généraux qui ont pris beaucoup d’avance en proposant par exemple des Management training systématiques inter-départements à tous leurs jeunes qui démarrent le métier. Chacun/une passe en réception 6 mois puis en service, puis en banquets. Et ainsi de suite. Ils se voient proposer un planning alternant l’ensemble des départements. L’idée permet aux jeunes d’avoir très vite une vision globale du métier. Cela permet aussi de varier les tâches, et rend l’expérience plus riche. Considérer les générations existantes et leurs contraintes, leurs visions de l’entreprise et tenter de les faire travailler ensemble, en synergie.
L’harmonie intergénérationnelle en entreprise est sans doute une des clés pour sa pérennité.