Après avoir passé le confinement et retrouvé, depuis le 11 mai, une liberté de circulation relative, il nous a semblé opportun de ré-intérroger nos trois clients investisseurs (volet 1 à relire ici http://newsite547684.live-website.com/8339/) sur leur état d’esprit et leur vision de sortie de confinement.
Une fois encore, ils se sont pliés à l’exercice de la visio-conférence, de l’échange, du partage, en sincérité.
Tovalea : Comment allez-vous, pour commencer ?
Martin Devictor :
Durant cette période de confinement, il y a eu des hauts et des bas. Le premier point de réflexion pour nous était lié à la relance de l’activité : comment, quand… Tout d’abord, nous avons eu la réouverture du chantier du plan B il y a 5 semaines. Il devait ouvrir initialement mi-juin mais ouvrira finalement début septembre. L’automne sera plus propice pour l’ouverture. Nous ciblons une clientèle locale, en ouvrant en fin de saison cela va permettre aux locaux de s’approprier l’espace de vie avant l’arrivée des touristes à Noël, cela fait partie d’un nouveau modèle qui a plus de sens aujourd’hui.
Concernant le Génépy, nous avons eu la chance de ne pas véritablement fermer l’établissement. Nous avons créé une offre et nous l’avons rendu disponible pour les soignants. Il n’y a pas eu de réservation puisque l’établissement est relativement éloigné des hôpitaux mais les gens avaient la possibilité de réserver en ligne et nous étions prêts à les accueillir. Nous avons accueilli par la suite le personnel de chantiers et depuis, nous sommes ouverts aux clients de l’extérieur. Nous avons pu bénéficier de l’autorisation des 100 km grâce à notre diversification de modèle avec un appart-hôtel car le produit s’y prêtait bien.
Nous avons également ouvert le Café du Génépy, nous avons revu notre modèle en proposant de la vente à emporter.
Nous avons repensé notre offre, nos horaires et notre distribution afin de mettre en place un service innovant de click & collect
Antoine Arvis :
Depuis la dernière fois, nous avions 4 chantiers à l’arrêt et aujourd’hui ces derniers sont à nouveau en cours dont 2 quasiment terminés. Les plannings sont modifiés mais tout avance bien désormais : ce sont des éléments agréables à partager pour l’ensemble de l’équipe de savoir que les choses avancent et de recevoir des photos de réalisations concrètes de nos projets.
Le niveau d’incertitude n’est plus le même qu’il y a deux mois : après la réouverture des restaurants et des bars, on parle désormais de celle des frontières, ce qui nous permet d’y voir plus clair pour les prochains mois. De notre côté nous avons listé tous les sites culturels sur Paris dont les dates de réouvertures sont déjà programmées : cela crée de l’enthousiasme, au début de la crise, nous listions les fermetures.
Par ailleurs, il y a deux mois nous étions dans la vague des annulations de salons, avec tous les jours des nouvelles annulations d’événements. Actuellement, nous sommes plutôt dans une dynamique inverse avec des confirmations de salons ce qui est encourageant pour notre reprise d’activité.
Globalement, nous sommes dans une dynamique bien plus positive mais encore incertaine.
Concernant les équipes des hôtels, cela est de plus en plus dur pour eux car le temps se fait long. Ce sera un challenge de management pour nous vis-à-vis des équipes. L’humain fait partie des sujets prioritaires sur lesquels nous sommes en train de réfléchir pour voir comment nous allons gérer cette nouvelle phase de réouverture.
Jean-Baptiste Martin :
Nous sommes également dans une dynamique similaire sur le sujet.
Nous avions 6 chantiers de construction d’hôtels ou de conversion d’immeubles de bureaux en hôtels en cours, qui ont tous rouverts. Nous avons eu des problématiques sanitaires à gérer au démarrage mais nous avons eu la chance de travailler avec des entreprises de bâtiments créatives et inventives et nous avons réussi à solutionner ces problèmes, notamment avec des plannings allongés et une méthodologie adaptée.
Cette période de confinement nous a permis aussi d’avancer sur beaucoup de sujets de fonds en particulier sur la partie développement d’hôtels. Nous avons donc pu finaliser plusieurs projets, notamment sur l’architecture d’intérieur, la négociation des marchés avec les entreprises…
Du côté des équipes supports, ces dernières ont pu reprendre au siège depuis la fin du confinement. Cela est plutôt positif puisqu’il y a à nouveau de la vie au bureau, cela permet de remettre du lien social et de sortir des visioconférences.
Pour les équipes des hôtels, le constat est le même que celui d’Antoine. Nous avons fermé les hôtels mi-mars et nous avons pu faire revenir les techniciens dès le 11 mai afin que les hôtels soient prêts pour la réouverture, nous avons travaillé sur des sujets de fonds en termes de travaux. Les techniciens présents étaient contents et motivés de reprendre.
Depuis que les ventes ont repris, on constate que les taux de remplissage pour juin, juillet et août sont extrêmement bas.
Nous prévoyons vraisemblablement une reprise des équipes à partir de fin août pour préparer la rentrée. Les équipes des exploitations des hôtels seront donc très certainement encore trois mois à l’arrêt.
Tovalea : Quel bilan faites-vous des actions mises en place pendant le confinement ? Qu’est-ce qui a marché et qu’est-ce qui au contraire, ne s’est pas fait ?
Martin Devictor :
Dans l’ensemble le bilan de ces actions est plutôt positif. Le sujet de la qualité de la connexion internet a été sujet national, on se rend compte à quel point on est dépendant de cette qualité internet.
Nous avons constaté également les limites du télétravail et je pense que tout le monde est content de reprendre une vie réelle.
Pour tout ce qui est vente à emporter et du click & collect, ce sont des choses qui prennent plus de temps à mettre en place qu’on ne le pense. Et donc même si l’on a testé de nouvelles choses, cela ne signifie pas forcément dire qu’elles sont à supprimer ou qu’elles ont marché à ce stade, elles sont toujours en test aujourd’hui.
Une fois que nos établissements ont rouverts, on est replongés dans une spirale positive et vertueuse. L’idée ensuite, c’est d’essayer puisque l’essence d’une entreprise c’est d’entreprendre. La période était propice à cela, nous souhaitons continuer dans cette voie du « try and learn » et cela ne se fait pas du premier coup.
J’ai pu retrouver pendant cette période ma fibre d’entrepreneur en faisant des nouvelles choses même à petite échelle; cela m’a recontacté à la création de l’entreprise.
En revanche, le changement est plus complexe pour les équipes, en particulier quand vous devez changer de direction et naviguer à vue. Elles doivent réapprendre un processus et cela leur demande plus d’efforts et moins d’automatismes. Nous avons fait plusieurs tests concernant les horaires du café, les formules de ventes à emporter, les annexes de distribution… Le résultat est très souvent que cela ne marche pas, et qu’il faut tester différemment sans abandonner, pour autant, l’idée.
Antoine Arvis :
Ce qui a plutôt bien marché, c’est le travail à distance : nous avons réussi assez vite à instaurer des rendez-vous en visio avec toute l’équipe, ce qui nous a permis d’échanger collectivement et efficacement sur les sujets en cours. Nous avons mis en place des rites comme le fait de tous se dire bonjour pour démarrer la journée et aussi des réunions en plus petits groupes pour faire des travaux sur des thématiques liées à la réouverture ou à des projets à plus long terme comme la RSE. En conclusion, nous avons réussi globalement à organiser correctement le travail et à rester connecté les uns aux autres ; nous avons réussi à garder un esprit d’équipe au sein de la structure de gestion.
Ce qui sera un challenge pour les prochains mois, sera d’instaurer plus d’échanges avec les directeurs des hôtels. Il est assez simple de faire passer des équipes siège qui travaillent dans un bureau en télétravail, en revanche cela est plus compliqué pour les équipes des hôtels. Ces dernières ne sont plus en lien avec le terrain et avec les clients. Or leur cœur de métier reste le service. C’est un problème qui ne concerne pas uniquement les hôteliers il touche aussi le secteur de la restauration et de l’événementiel.
Nous avons encore des idées à trouver pour améliorer le lien avec les directeurs et les équipes des établissements encore fermés. Je réfléchis également à la façon dont nous pouvons créer une dynamique collective sur la reprise avec par exemple pourquoi pas la mise en place d’un système exceptionnel d’incentive sur la gestion des charges afin d’encourager l’ensemble des équipes pour la reprise.
Martin Devictor :
La problématique actuelle concerne également la sortie du chômage partiel des équipes puisque nous commençons à avoir de la visibilité pour les dates de réouvertures. Pour un de nos établissements, Le Faucigny, qui doit rouvrir le 22 juin, nous commençons par exemple à refaire travailler in situ le Directeur. Même si cela a un coût, cela permet un retour à la normale plus progressif, ce qui motive aussi les équipes. La réduction du chômage partiel pour les équipes du siège se fait également progressivement.
La question de rouvrir ou non les hôtels n’a pas uniquement un coût financier, il faut prendre en compte l’impact du chômage partiel et de l’inactivité sur les équipes et la place concurrentielle.
Le fait de proposer de la vente à emporter au sein de notre café, le Génépy pendant le confinement nous a donné beaucoup de visibilité sur la place. De plus, il y a également un coût à réengager les équipes.
Jean-Baptiste Martin :
De notre côté, cette période de confinement nous a permis d’avancer sur certains sujets de fonds pour les hôtels en chantier qui n’ont pas encore ouverts. Nous avons réussi également à travailler en télétravail et à limiter les déplacements, même si nous nous sommes rendus compte assez rapidement des limites du travail à distance.
Concernant la reprise, l’hôtellerie sera un des secteurs les plus touchés au vu des taux d’occupation. Nous avons à la fois une clientèle business et une clientèle loisirs sur nos hôtels. Pour la clientèle affaires, dans les prochains mois il faudra compter presque uniquement sur une clientèle économique. En effet, la clientèle « cadres » sera absente puisque les entreprises privilégieront le télétravail jusqu’à fin juillet. D’autre part, il y a toujours la problématique de la garde des enfants, la réouverture des écoles étant très disparate d’une région à une autre. Enfin, la clientèle touristique internationale sera absente cet été.
La demande notamment sur la région parisienne est donc très faible à l’heure actuelle et il est difficile d’envisager une reprise avant septembre. Aujourd’hui l’enjeu est de faire voyager à nouveau les gens, et de faire repartir l’école également.
Tovalea : Quel appréhension ont vos équipes de la gestion du virus ?
Jean-Baptiste Martin :
Actuellement, beaucoup de citoyens ont des appréhensions face au COVID. Cependant, depuis la reprise des chantiers les employés du BTP sont présents et réussissent à travailler, et il faut en prendre exemple. Beaucoup de salariés de nos hôtels ont envie de se remettre au travail et veulent être au contact des clients.
Martin Devictor :
Je pense que c’est un sujet très délicat puisqu’il est assez personnel, il faut respecter chacun et trouver avant tout le bon équilibre. Nous devons mettre en place les gestes barrières et suivre les protocoles définis. Nous ne pourrons pas empêcher le virus de circuler et nous ne pouvons pas faire de nos hôtels et restaurants des hôpitaux. En conclusion, il faut être capable d’identifier les cas, de les isoler et de retourner progressivement à une vie normale.
Antoine Arvis :
Concernant les protocoles de mesures sanitaires, j’ai eu la chance de participer 3 fois par semaine à des confcall avec plusieurs groupes hôteliers très bien informés. J’ai donc eu la chance d’être au courant très vite de toutes les évolutions possibles du protocole de notre secteur. Je les remercie de m’avoir invité à y participer car c’est extrêmement rassurant d’obtenir rapidement des informations sérieuses et fiables dans de telles périodes et cela rassure également les équipes de savoir que l’on est aussi bien informé que des grands groupes, même quand on est une petite structure. Concernant les craintes des collaborateurs, c’est effectivement un sujet souvent personnel qui est complexe.
Il va falloir être vigilant et comprendre les inquiétudes de chacun.
Tovalea : Comment préparez-vous la reprise techniquement avec les normes sanitaires ?
Antoine Arvis :
Plus que jamais, cela passera par les détails dans l’accueil. Nous envisageons par exemple de faire des démonstrations aux équipes pour leur montrer qu’en souriant même avec un masque, cela se voit et qu’il est donc encore plus important d’être souriant quand on a un masque que sans, bien que la logique indiquerait plutôt l’inverse. Nous allons également choisir avec soin la couleur des bandes au sol ou des panneaux liés aux mesures sanitaires afin qu’ils soient bien sûr visibles mais qu’ils se fondent le mieux possible dans le décor.
La qualité de la relation client sera le moyen de compenser le côté froid et « médical » créé par les nouveaux process anti-covid, il faut donc que les équipes soient préparées à cela : rassurer mais avant tout accueillir.
Martin Devictor :
Nous avons pu consulter notamment le protocole d’Accor, qui est un document exhaustif sur l’ensemble des mesures. Lors des réouvertures cela sera à chaque établissement de s’adapter et d’y mettre du bon sens.
Tovalea : Allez-vous transformer vos conditions de pilotage en y ajoutant du pilotage à distance ? comment selon-vous, l’hôtellerie va se transformer dans l’année à venir ?
Martin Devictor :
Dans nos prévisionnels, nous savons que cette année sera une année blanche et que la reprise ne se fera pas cet été. Nous avons prévu de compter financièrement sur les aides de l’Etat pour les prochains mois. De notre côté, nous sommes plus inquiets pour cet hiver et à moyen terme, car nous ne savons pas encore dans quelle mesure la clientèle reviendra.
Nous utilisions déjà le télétravail, puisque nous avons quelques collaborateurs basés dans d’autres régions. Il n’y aura donc pas de changement majeur de notre côté.
Le changement du point de vue du digital, se fera davantage à travers la communication avec les clients puisque nous avons beaucoup développé cette méthode d’interaction pendant le confinement.
Le sujet actuellement est de prévoir l’importance de l’impact de la crise économique et sociale qui nous attend à la rentrée. Pour notre secteur, il faudra s’attendre à une hausse du chômage et à des fermetures d’établissements. Il va falloir chercher de nouvelles efficiences, et réussir à fonctionner avec moins de personnel sur nos hôtels.
L’hôtellerie est un secteur qui cherche à s’améliorer constamment et qui a subi déjà plusieurs crises. Face à cette crise inédite, certains acteurs ne survivront pas, et cela donnera naissance également à de nouveaux acteurs qui auront des modèles peut-être plus efficaces que ceux existants.
Antoine Arvis :
De notre côté, cela changera peut-être quelques habitudes de travail mais je souhaite vraiment réduire la visio dès que possible. Trois mois, ça va… Je souhaite surtout pouvoir revoir les gens et retourner vers une vie normale. Nous avons la chance d’avoir tous nos hôtels et équipes en région parisienne, nous n’avons donc pas de problématique géographique. Nous mettrons donc en place dans les prochains jours toutes les mesures nécessaires pour favoriser le retour au bureau de manière sécurisée.
Concernant la reprise, il est difficile de savoir ce qu’il va se passer puisque nous n’avons jamais vécu une telle récession. Je reste donc très prudent quant à la suite. Il faut envisager tous les scénarios et surtout les plus durs.
Pour ma part, je ne crois pas à une baisse de la clientèle loisirs à moyen et long terme, l’être humain a toujours eu un désir de voyages et de découvertes, et continuera à voyager par la suite.
En revanche concernant la clientèle affaires, il faudra je pense prévoir une baisse plus durable de sa fréquentation pour plusieurs raisons. Tout d’abord pour des raisons de protections sanitaires, les déplacements seront limités à court terme, mais aussi pour des raisons financières liées à la crise à moyen terme et enfin pour des raisons écologiques à plus long terme. Et depuis 3 mois, un grand nombre d’entreprise ont découvert et adopté les réunions à distance.
Il y a donc selon moi beaucoup de raisons logiques qui pousseront les entreprises à limiter les déplacements et séjours de leurs collaborateurs au cours des prochaines années.
Les hôtels très dépendants d’une clientèle business risquent donc d’en souffrir dans la durée. Il y a je pense une vraie réflexion à mener au sujet du tourisme d’affaires.
Jean-Baptiste Martin :
Je retiens que les réunions organisées à distance est une bonne chose. Mais le télétravail reste l’exception. A partir du moment où a plus de bureaux physiques on perd ce qui fait le coeur de l’entreprise et je ne m’y retrouverai pas.
Rien ne remplacera le fait d’échanger et rebondir sur un sujet autour d’un café en équipe, dans l’interaction et l’échange.
Le côté virus va accélérer certaines mutations sur le plan écologique, et surtout sur l’aspect local. Je reste méfiant car tout ne va pas changer le naturel revient vite au galop. On pourrait croire que l’hôtellerie va se digitaliser mais en même temps les gens sont en quête de sens et de contact. Je crois cependant en l’avenir.