Face à la crise que nous traversons aujourd’hui, nous avons proposé à trois de nos clients investisseurs hôteliers, de se rencontrer et d’échanger par visio-conférence sur leur gestion de la situation de crise, subie de plein fouet par notre secteur, mais aussi sur leur réflexion pendant ce temps de confinement, et en quoi cette crise majeure va changer la reprise.
Présentation des investisseurs :
Antoine ARVIS – Directeur Général chez MADEHO
Après une carrière dans la publicité au service de grandes marques (Peugeot, SFR, Nike, Eurostar, BforBank, SNCF, Bouygues, Accor), Antoine Arvis rejoint ensuite le monde de l’hôtellerie et crée MADEHO, poursuivant ainsi l’aventure hôtelière familiale initiée par son grand-père en 1968 et son père en 1990.
Formation : ESCE Paris, Audencia
MADEHO :
- Date de création : 2016
- 8 Établissements : Etoile Saint Honoré, Champs Elysées Friedland, Maison Malesherbes, Villa Daubenton, Basss, MHIF Le Marais, Belloy, Petit Belloy.
- Valeurs : L’efficacité et la singularité.
- Lien : madeho.fr/
Martin DEVICTOR Founder- Montblanc Collection
Après un passé dans la finance Martin Devictor, qui connaît depuis son enfance la région de Chamonix, crée avec son frère et ses sœurs les Chalets des Liarets, un établissement 4 étoiles. Il décide ensuite de lancer le groupe Mont-Blanc Collection, implanté à Chamonix.
Formation : University of Buckingham, EM Lyon
Montblanc Collection :
- Date de création : 2016
- 5 Établissements : Le Faucigny, le Génépy, le Whymper, le Café du Génépy et le Plan B (en pré-ouverture)
- CA : 2,5 M€
- Ambition : offrir à ses hôtes une expérience unique au cœur de Chamonix.
- Lien : http://montblanc-collection.com/fr/
Jean-Baptiste MARTIN Co-Fondateur Suitcase Hospitality
Jean-Baptiste Martin réalise une carrière dans l’immobilier en intégrant Nexity, puis il prend la Direction commerciale et marketing du groupe Legendre pour les zones Grand Ouest et IDF, il crée le groupe SuitCase Hospitality en 2015.
Formation : Toulouse Business School
Suitcase Hospitality :
- Date de création : 2015
- 5 Établissements : LAZ’ Hôtel Spa Urbain, Best Western plus Suitcase Paris – La Défense, Mercure Paris Gennevilliers, Ibis Budget Paris Gennevilliers, Ibis Styles Romainville (ouverture prévue en 2020) et 10 hôtels en construction
- 1900 chambres en développement du 2 aux 5 étoiles, soit 15 hôtels d’ici 2023
- CA : 45 millions d’€euros en 2023
- Valeurs : Confiance et intégrité, réactivité, humanité, entrepreneuriat et rigueur.
- Lien : https://www.suitcase-hospitality.com/fr/
THINK TANK – Gestion de crise :
Tovalea : Quel est votre retour d’expérience sur ce début de crise : Comment avez-vous réagi face à cette situation ? Quels ont été vos challenges et vos réussites ?
Antoine Arvis :
Nous avons réussi avec l’ensemble de l’équipe à anticiper la crise de quelques jours et à nous organiser en fonction. Même si cela a été très violent, comme pour tout le monde, cela s’est plutôt bien passé pour nous. Nous avons immédiatement pris la décision de ne laisser aucun personnel sur les hôtels et avions ainsi pré-réservé une entreprise de sécurité.
Ensuite, nous avons très vite décidé (au bout de 24-48H) d’arrêter de parler de la fermeture des hôtels et de rentrer plutôt dans une dynamique de réouverture des établissements. Nous avons ainsi débuté un travail de réflexion sur la manière dont nous allions rouvrir nos hôtels d’un point de vue sécuritaire, financier et commercial. Il s’agissait également de réfléchir à la façon dont nous allions maintenir le lien avec nos équipes et renouer celui avec nos clients. Nous avons par exemple décidé de répondre individuellement à chaque message reçu sur nos réseaux sociaux pour demander à nos followers si cela les intéresse d’avoir des informations sur nos réouvertures.
Concernant les équipes, nous échangeons tous les jours sur Teams et nous préparons les prochaines échéances pour les réouvertures, en considérant chaque entité individuellement. Cette période permet d’établir une façon différente de travailler et de découvrir aussi de nouvelles attitudes au sein de son équipe dans ces périodes atypiques.
Jean-Baptiste Martin :
Nous avons pris la décision de ne laisser aucun personnel sur place et nous avons contacté une entreprise de sécurité nous aussi.
Les directeurs de nos hôtels sont à 50% du temps en télétravail afin d’avancer sur différents sujets de fond mais également pour traiter le quotidien des hôtels et de la relation avec les clients. Certains collaborateurs du siège sont également en télétravail. Cette organisation entraîne de nouvelles manières de faire, c’est une expérience révélatrice d’un point de vue humain.
L’objectif pour nous est de retirer quelque chose de positif de cette année malgré cette perte d’activité.
Dans notre malheur c’est un temps de pause que nous n’avons jamais dans une vie et qui nous permet d’étudier des problématiques de fond, de réfléchir aux procédures, et d’analyser les choses qui fonctionnent ou pas. Il y a selon moi plusieurs questions à se poser : Comment faire évoluer nos hôtels ? Comment nos clients vont consommer différemment en hébergement mais aussi en restauration ? Comment vont-ils repenser leurs déplacements à l’avenir ?
Martin Devictor :
La première action que nous avons mise en place suite à l’annonce du confinement, a été de fermer l’ensemble des établissements. Après nous être occupés de nos derniers clients, nous avons tout préparé (les stocks, les inventaires…) afin de rouvrir le plus rapidement et le plus facilement possible avec des hôtels impeccables : il sera important pour nos équipes de retrouver une place de travail propre et prête à fonctionner.
L’important en cette période est de se rappeler que le plus important reste le capital humain.
Nous avons anticipé le fait que la réouverture demanderait une certaine inertie. Cela a été le cas pour le chantier que nous avons en cours également, puisqu’au moment où les entreprises reviendront, elles vont avoir besoin de trouver un lieu de travail organisé. Pour cela, nous nous sommes assurés d’avoir les bons moyens de communication avec la bonne fréquence pour communiquer avec les équipes.
La situation actuelle sera forcément un accélérateur de changements. Nous ne savons pas encore quels seront ces changements et quand ils auront lieu, mais nous allons revenir vers un « nouveau normal. » Il faut commencer à préparer cet après sans oublier les tâches importantes du jour comme les garanties de l’état. Il y a beaucoup de temps perdu pour comprendre les mesures et les changements de décisions, il ne faut donc pas céder au flux d’informations. L’idée est de travailler sur quelques scénarios et de « naviguer à vue dans la tempête. »
Tovalea : Quelle est votre vision de la situation en tant qu’investisseur et aussi en tant qu’hôtelier ?
Antoine Arvis :
Je pense qu’il faut éviter de faire trop de prévisions et de tomber dans des hypothèses car de jour en jour les prévisions changent complètement en fonction de comment la Chine et la Corée redémarrent alors que ce sont des marchés complètement différents avec des clientèles aux comportements très différents. Faire trop de projections commerciales est donc risqué. Nous devons d’abord nous concentrer sur ce que l’on doit faire et sur ce que l’on sait faire : préparer les hôtels et préparer les collaborateurs à la réouverture. Pour cela, il est important que les équipes gardent le moral et nous devons ainsi continuer à entretenir un lien très régulier avec tout le monde.
De mon côté, j’ai démarré l’hôtellerie il y a 4 ans. J’ai connu plusieurs situations complexes en très peu de temps, comme l’ensemble des hôteliers avec les attentats, les gilets jaunes, les grèves… donc d’un point de vue de l’investissement, si on ne regarde pas les sujets sur le long terme, on peut vite se démoraliser. L’important est donc de garder cette vision de long terme et ménager son impatience.
Jean-Baptiste Martin :
J’ai également un parcours récent dans l’hôtellerie puisque j’ai travaillé précédemment dans le secteur immobilier, qui est touché aussi aujourd’hui par le Coronavirus. J’ai tendance à penser qu’il y aura forcément des opportunités de développement hôteliers ou d’acquisition d’actifs existants à saisir notamment sur le marché parisien du Grand Paris où les opportunités n’était pas légion. Cela pourrait être dans les prochains mois l’occasion d’étudier et de se positionner sur certains dossiers.
Je travaille également beaucoup sur le long terme puisque nous avons une dizaine d’hôtels en construction avec des ouvertures entre 2021 et 2023.
Je crois en la capacité de résilience de à rebondir de la France tant sur le segment Affaires que loisirs.
Tout comme Antoine, j’ai perçu l’hôtellerie comme un métier assez simple au départ. Depuis 2015 et notre création, chaque année nous avons connu des problématiques avec les attentats, et les gilets jaunes puis les grèves et enfin le COVID. Il est important de garder cela en tête lorsque l’on élabore nos business plans. Il faut intégrer ces aléas dans les prévisions, qui sont parfois oubliés des institutionnels ou brookers qui ne regardent que l’inflation. Je reste néanmoins très actif dans l’hôtellerie notamment dans l’acquisition.
Martin Devictor :
J’ai au départ un parcours dans la finance et je suis dans l’opérationnel depuis quelques années également. D’abord, je pense qu’il est important de prévoir des scénarios même s’il est difficile d’anticiper la suite, cela permet de se donner un cap. Il faut se préparer à avoir moins de clientèle internationale cet été et l’hiver prochain et des PMC plus faibles.
Cette situation engendre une vraie réflexion autour du tourisme qui a commencé déjà il y a quelques années. Il y aura forcément des répercussions sur nos métiers. Je pense qu’une réconciliation entre le tourisme et l’environnement est nécessaire. Le tourisme est une activité qui engendre des déplacements, qui consomme du carbone… L’idée à laquelle je réfléchis en ce moment est de lier l’utile et le futile. Il est intéressant de réfléchir aux modèles qui ont pu se développer en Espagne ou en Italie comme l’agrotourisme qui permet de ne pas dépendre uniquement du tourisme. Il s’agit pour nous hôteliers de mélanger l’activité touristique et l’activité économique locale qui répondrait à la question de l’ancrage régional qui est très présente aujourd’hui.
Il faut réfléchir aux opportunités qui vont apparaître dans ce « nouveau normal » pour avoir une plus grande stabilité locale avec des activités proches de l’hôtellerie. Nous avons par exemple ouvert un café en décembre, c’est un produit qui est plus attractif pour une clientèle locale en comparaison avec un hôtel. Il ne faut plus que l’activité dépende uniquement d’une clientèle touristique.
Tovalea : Quelle est votre vision de la transformation RH qui va découler de cette crise ?
Quels seront les changements pour les collaborateurs qui vont réintégrer les hôtels, allez-vous repenser leur poste différemment ?
Antoine Arvis :
Pour ma part je distingue vraiment deux sujets qui sont : les équipes au sein des hôtels, et les équipes présentes au sein de la structure de gestion. Ce sont deux sujets très différents. Les équipes au sein des hôtels sont au chômage à 100%, à l’exception des Directeurs. Ces derniers gèrent la relation avec les équipes, les clients et les fournisseurs. Les équipes de gestion travaillent à minima à 50%, principalement sur des sujets liés à la réouverture. Mais bien évidemment, la charge de travail n’est plus du tout la même.
Pour ce qui est des hôtels, le sujet est de savoir à partir de quel moment nous allons rouvrir nos établissements. Il faudra accepter dans un premier temps de rouvrir malgré un faible taux d’occupation, ne serait-ce que pour relancer la machine. Cela se fera donc forcément avec des équipes réduites.
Il faudra certainement réadapter la manière dont nous travaillons et amener tout le monde à plus d’autonomie et de polyvalence, cela me paraît essentiel.
C’est une bonne occasion de le faire : l’idée est d’avoir des personnes qui travaillent à la réception mais qui peuvent aussi donner un coup de main sur le F&B par exemple… Il faudra repenser les postes en les rendant un peu moins sectorisé, et faire tomber les barrières entre les départements. De notre côté, les postes seront maintenus et nous continuerons d’être dans une phase de recrutement puisque nous créons des départements F&B dans certains de nos hôtels.
Jean-Baptiste Martin :
Au moment de la reprise de l’activité, nous devrons fonctionner dans nos hôtels avec des équipes très réduites. Il s’agit de réfléchir à la façon dont nous allons fonctionner avec un hôtel qui aura peut-être, seulement 10 ou 20 chambres d’occupées. Il faudra réapprendre à l’ensemble du personnel à être polyvalents et agir comme des hôteliers : être à la réception, servir les petits-déjeuners… Concernant les autres postes, il faudra effectivement des postes pluridisciplinaires. Cela est très propre à l’hôtellerie traditionnelle qui est très cloisonnée et où les postes sont plutôt mono-tâches.
Concernant le recrutement, nous avons eu plusieurs créations de postes sur des fonctions supports : RM, RH que nous allons poursuivre. Il y a certains recrutements notamment pour étoffer chaque service que nous mettrons sûrement en pause pour prendre le temps de trouver le bon candidat et attendre une conjoncture économique plus favorable. C’est une période forcément complexe pour recruter car les candidats n’ont pas forcément envie d’abandonner leurs équipes même s’ils sont à l’écoute du marché (ndlr : nous confirmons:-). Sur l’exploitation nous restons très actif dans le recrutement compte tenu de notre fort développement hôtelier avec 3 hôtels à ouvrir en 2020 avec plus de 60 postes à pourvoir.
Martin Devictor :
Notre groupe connaît une période de croissance depuis 4 ans. Lors de la reprise, il faudra consolider les synergies entre les établissements. Nous profitons de cette pause pour mieux organiser les différentes fonctions aussi bien dans l’opérationnel que dans la gestion.
Il est important de continuer à motiver les équipes pour qu’elles soient présentes pour l’ouverture et la reprise de l’activité. Nous étions plutôt dans une période de recrutement, nous avons mis en pause ces postes. Cela nous permet de voir en fonction de la reprise si nous pouvons utiliser des ressources internes pour aider cette croissance. C’est également un temps pour réfléchir aux possibilités d’évolutions en interne ou aux réorganisations possibles.
Conclusion :
La reprise entraînera plusieurs changements pour le secteur de l’hôtellerie. Cette « pause » entraîne plusieurs réflexions pour les investisseurs, notamment sur la question des évolutions en interne et des définitions de postes dans l’hôtellerie. Les collaborateurs devront faire preuve d’une capacité de polyvalence et de transformation dans cet effort qui sera collectif.
Les investisseurs s’accordent à dire qu’il y aura un renouveau au moment de la reprise de l’activité, avec une réflexion en amont sur l’évolution du marché hôtelier, l’importance de la restauration et des autres secteurs d’activités connexes. L’idée étant de diversifier les investissements afin de favoriser l’économie locale et de limiter les impacts d’une crise comme celle-ci sur un groupe.