Dans la continuité de nos discussions avec les professionnels du secteur, nous avons souhaité prendre le retour d’expérience d’un des grands Directeurs Généraux de l’hôtellerie de luxe Parisienne, Mauro Governato, Directeur Général de l’hôtel The Peninsula de Paris.
Portrait
Milanais de naissance, Mauro a mené une carrière emprunte d’excellence dans l’hôtellerie de très grand luxe, à l’international. D’abord chez Kerzner International, puis chez Four Seasons Hotels & Resorts pendant plusieurs années en tant que Directeur Général au Four Seasons Hotel de Milan, avant de rejoindre le groupe Peninsula à Paris, il y a un an.
Labellisé Palace et Flagship de la marque, The Peninsula Paris emploie 600 personnes, pour déployer un service d’exception à une clientèle internationale. 200 chambres et 86 suites d’exception. L’un des deux restaurants de l’hôtel, L’Oiseau Blanc, offre une vue incroyable sur Paris.
Comme l’ensemble des hôtels de la capitale, mais aussi en France et à l’International, ce joyau de l’hôtellerie Parisienne, a dû fermer ses portes le 17 mars dernier.
Mauro Governato nous a fait l’honneur et surtout l’immense gentillesse, de prendre le temps d’échanger avec nous sur son vécu de crise, et les idées qui se profilent pour une reprise dont la visibilité est encore incertaine.
Tovalea : comment avez-vous géré la crise du Covid19 par rapport à d’autres crises ?
Mauro Governato : j’ai eu la chance de travailler dans d’autres pays, et j’ai vécu la grave crise du Tsunami de 2004. Des mouvements sociaux, aussi, et des urgences de toutes sortes. C’est la première fois que je suis confronté à une crise sanitaire d’ampleur mondiale, une crise où l’être humain n’a pas les réponses.
Certaines décisions ont dû être prises en cohésion avec les équipes, et j’ai demandé à tout mon personnel d’être flexible et compréhensif car je n’avais pas toutes les réponses, il fallait devoir faire preuve de patience, et gérer de nombreuses inconnues.
S’assurer de la sécurité et de la santé de chaque employé (et de leurs familles) a été ma priorité absolue.
Nous avons pris la décision immédiate de la fermeture totale de l’hôtel juste après l’annonce du Gouvernement, le 16 mars dernier.
Nous avons ensuite mis en place une communication hebdomadaire avec les équipes, pour les informer de notre volonté, avec le soutien de nos propriétaires, de mettre tout en place pour leur garantir le meilleur niveau de rémunération possible, en dépit de cette conjoncture inédite. Vous pouvez imaginer que ce n’est pas simple.
Dans cette période de crise, il est primordial que tout le monde puisse garder un esprit positif et la fierté de faire partie de la compagnie pour laquelle ils travaillent. Notre rôle est de les rassurer, de trouver des réponses à leurs doutes et de surtout maintenir un ton optimiste, bien que l’on ait aujourd’hui que très peu de visibilité sur le moyen terme.
Il nous faut aussi nous montrer présents, même si cela signifie faire nos meetings de direction par video calls. Un groupe réduit de 10-15 personnes s’assure que l’hôtel reste sous maintenance et prêt à repartir dès que nous le pourrons. Je suis tous les jours sur place ou en contact régulier avec les équipes.
Tovalea : Quelle est votre visibilité quant à la reprise ?
MG : Je suis à l’écoute moi aussi de tout ce qui se passe dans le monde, le tourisme ayant été touché de plein fouet et comme jamais. Les vacances et les projets de voyage ont laissé place à d’autres priorités essentielles.
La reprise va être très graduelle et très localisée, il est probable qu’on ne puisse compter, au début, que sur le tourisme national. Cette reprise graduelle, limitée (a priori) à la France et aux pays limitrophes, va devoir être planifiée de façon programmée et structurée. Grâce aux mesures de l’état Français qui a été très proactif notamment avec la proposition du chômage partiel, dans une ampleur jusque-là inconnue, on peut espérer continuer de faire le travail dans les meilleures conditions possibles à la réouverture.
Tovalea : cela va changer quoi dans la façon d’accueillir les clients demain ?
Assurer à nos clients et à nos employés de mettre tous les moyens nécessaires en place pour répondre aux contraintes sanitaires et repenser notre service en tenant compte de ces nouveaux paramètres sera la priorité. Il faudra personnaliser encore davantage notre service, et mettre à profit les grands espaces de nos lieux publics pour garantir une distance appropriée entre chacun.
A titre d’exemple, il faudra songer à comment repenser l’arrivée en limousine, le nettoyage des chambres, les procédures d’arrivée et de départ, peut-être généraliser le check in directement dans la chambre du client plutôt qu à la Réception?
Le spa est un sujet en soi : comment assurer la sécurité au spa ? il nous faudra sans doute y créer des vestiaires intégrés dans les espaces de traitement par exemple.
Nous allons devoir faire preuve d’une grande adaptabilité pour répondre aux nouvelles normes d’hygiène et faire en sorte que notre clientèle se sente avant tout en sécurité lorsqu’ils séjournent chez nous. C’est vraiment là le critère déterminant pour réussir à relancer, le moment venu, le tourisme international.
Tovalea : Est-ce que la façon des clients de consommer l’offre palace, notamment les suites, va changer selon vous ?
MG : Probablement. Avec les mesures de distanciation sociale, la notion d’espace risque de devenir encore plus un critère de décision dans le processus de réservation.
Il nous faudra réfléchir à notre offre suite pour pouvoir y répondre avec, peut-être la nécessité de revoir nos tarifs pour que les séjours en suite soient de plus longue durée.
Tovalea : Quels conseils donner aux jeunes talents opérationnels hôteliers de luxe en confinement ?
MG : Notre métier d’Hôtelier demeure tourné vers l’accueil, l’émotion, le sens du service, je propose aux jeunes talents d’oser trouver des idées innovantes en se reconnectant aux fondamentaux de l’hôtellerie. Notre métier laisse souvent peu de place aux moments de pause, de réflexion. Cette crise nous a tous stoppés net dans notre élan de préparation de la saison d’été. Pourquoi ne pas optimiser ce temps libre pour repenser le « back to basics », utiliser leur jeunesse créative pour créer des surprises.
Tovalea : en quoi pensez-vous que cette crise va vous transformer ?
Un aspect ne pourra jamais changer et il va prendre une importance capitale, c’est le fait de mettre de plus en plus de valeur dans le temps que le client va passer dans mon hôtel. C’est mon rôle de créer des expériences mémorables, faire vivre des émotions hors du commun qui contribuent à rendre le séjour d’un client inoubliable. Mettre plus d’interactions personnelles encore et être capable de rassurer et anticiper.
Je m’efforce de me préparer à l’après-crise, en tenant compte de toutes les inconnues que nous avons encore au jour d’aujourd’hui. Je réfléchis notamment à comment faire preuve de plus de flexibilité et d’agilité dans notre gestion des opérations pour faire face à ces nouveaux paramètres et, pour nos employés, à comment intégrer encore davantage la notion de la santé et du bien-être dans notre quotidien.
Pour terminer sur une note positive, cette crise aura au moins eu le bénéfice de nous donner envie d’être encore plus ensemble et solidaires ; elle nous aura appris à nous dépasser, en renforçant l’esprit d’équipe
Tovalea : Qu’est-ce qu’on devra faire différemment à la reprise dans cette hôtellerie ?
Il nous faudra attirer une clientèle plus locale, avec une offre vaste et casser l’idée que les Palaces ne sont accessibles qu’à une clientèle internationale fortunée.