Cette semaine nous partageons notre dernier échange de cette période de confinement, avec la vision de Laurent Branover, CEO des Domaines de Fontenille. Laurent pilote une collection unique, au luxe non ostentatoire, exceptionnelle, de 5 hôtels pensés comme des maisons situés à Lauris en Provence, Minorque, Marseille et Hossegor.
Quatre de ces maisons ont été ouvertes en 2019, un premier restaurant de plage à Hossegor, la Cabane des Estagnots en 2020 et d’autres projets sont à venir en 2021 dont l’Ouest Parisien et Seignosse, puis l’Italie.J’ai voulu interroger Laurent, dont les hôtels ont été conçus par leurs propriétaires, exclusivement en région, comme des grandes maisons de famille dont le service n’a rien à envier aux meilleurs palaces. Nous savons que les hôtels régionaux vont avoir une carte majeure à jouer cet été, avec une clientèle Française en quête de respiration.
Aussi Laurent nous partage comment il réfléchit aujourd’hui cette reprise.
Portait
Marseillais d’origine, après des études à l’Ecole Hôtelière de Toulouse, Laurent a réalisé une carrière sans faute en F&B puis en Hébergement dans l’hôtellerie de très grand luxe : d’abord à l’international pour des marques prestigieuses comme Le Métropole à Monaco, Raffles à Singapour, Oetker Collection à Marrakech. Il devient ensuite à Genève, Directeur Général de La Réserve, et enfin pour Cheval Blanc, Directeur Général de Cheval Blanc Courchevel.
Au cours de ces années Laurent a été marqué par de grands hommes de notre profession : Pierre Jochem, Directeur Général de La Mamounia, et Joël Robuchon.
Depuis deux ans, Laurent a rejoint Frédéric Biousse et Guillaume Foucher, les créateurs et propriétaires des Domaines de Fontenille en tant que CEO et est rentré lui aussi au capital de la Collection.
Sa mission y est de développer cette collection de maisons d’exception en apportant son expertise acquise dans les palaces, en termes de service, d’organisation et de stratégie.
Tovalea : Après 4 semaines de confinement, quels sont les sujets qui vous animent aujourd’hui dans la préparation de votre réouverture ?
Laurent Branover : La vision est très intéressante car je n’ai jamais utilisé le mot crise, je préfère plutôt parler d’un nouvel esprit qui doit sortir de cet événement là, qui est mondial. Cet esprit doit être revu et travaillé avec les valeurs que l’on a en tant qu’ Aubergiste, et comment ensuite on fait évoluer ces valeurs, force de ce tsunami.
Les choses doivent être vues de façon positive, car j’ai l’idée ancrée d’un cercle vertueux : trouver, former et faire grandir des équipes. A ce titre, nous avons créé un poste de Responsable des Richesses Humaines, car nous ne sommes pas des ressources.
On parle beaucoup de ressources humaines, mais nos équipes, partenaires, hôtes sont des richesses
Le message envoyé est positif, tout n’est qu’un et cette notion de richesse nous la développons au quotidien.
Tovalea : comment avez-vous maintenu le lien avec les équipes depuis le confinement ?
LB :Nous avons tissé des liens encore plus forts avec les équipes, et elle a foisonnée. Nous avons une communication quotidienne avec les nouveaux outils de visioconférence qui sont à disposition.
A titre d’exemple, les équipes d’Hossegor partagent leurs propres recettes familiales entre eux, et aussi les réflexions faites de chacun avec les Directeurs sur comment on va ré-ouvrir.
Qu’allez vous faire différemment lors de la reprise ?
LB : Le mot Aubergiste représente bien le cœur de notre métier, notre métier est avant tout à mon avis, un métier d’artisanat qui doit être ancré dans le local.
Cela se traduit par du recrutement local, tous nos Dirigeants sont issus des régions dans lesquelles sont les hôtels. Bien sûr ils auront eu une expérience à l’étranger, mais ils sont revenus dans leur berceau familial. Ils sont proches des partenaires locaux. Cela compte lorsque l’on est accueilli avec l’accent local.
Nos Directeurs et Directrices connaissent leurs terroirs
(NDLR : Olivier Nahon, est originaire du Sud, Paula Visciano – née à Marseille à deux pas de l’hôtel, Arnaud Sehebiade – Basque landais et Sonia Pons Vidal – native de
Minorque)
Et nous donnons priorité aux personnes issues du terroir, dans nos recrutements.
78% de nos hôtes sont Français. Le voyage pour moi c’est parfois à 1h de chez soi, en découvrant des lieux magiques et uniques, des forêts des belles tables. Les propriétaires de Fontenille ont voulu faire un tour de l’Europe en s’appuyant sur les localités.Cependant, la notion de local ne peut avoir lieu que si l’on va au bout du concept.
Le fait d’avoir des clients locaux qui visitent nos lieux a toujours été essentiel
Tovalea : Comment êtes vous passé d’une hôtellerie internationale de luxe à une hôtellerie plus locale et familiale ?
Après des années d’expatriation, j’avais envie d’une hôtellerie qui me ressemble, plus dans le sens d’un art de vivre. Des belles chambres dans lesquelles on se sent bien, de l’espace, du temps pour soi avec des grands salons d’hôtes confortables, etc….
Ce qui m’a toujours plu dans mes voyages personnels c’est de rester dans des maisons d’hôtes. L’auberge de l’Ecu à La Rochelle m’a profondément marquée, bien avant toutes les procédures qu’on peut mettre en place dans l’hôtellerie de luxe.
Il y aura toujours des grands hôtels, des Palaces, c’est une histoire très Européenne et très Française. Ils ont vécu longtemps avec une clientèle très riche et Européenne.
Avec les années, le modèle s’est industrialisé, avec une clientèle de plus en plus internationale, clientèle qui va leur faire défaut pendant les prochains mois.
Tovalea : Comment, selon vous, l’hôtellerie de luxe internationale va pouvoir se réinventer ?
LB : Cela va être difficile car il va falloir réinventer, d’une certaine façon, repenser le moule afin qu’il soit en adéquation pour les 15 -20 prochaines années. Ces maisons là sont des flagqhips qui existeront toujours, mais le travail de transformation sera important.
Leur force est un service incroyable, mais cette clientèle qui reviendra un jour en France, il faut la compenser par une clientèle avant tout Française, qui ne peut pas payer aujourd’hui des prix aussi élevés.
Idem pour la gastronomie, j’ai vu dans Paris des Pâtisseries à 35€ à emporter, où est le sens dans tout cela ? il faut rétablir un cercle plus vertueux, et remettre des limites, car peut être que la limite a été atteinte.
On peut avoir des clients extraordinaires au bout de la rue
Tovalea : En quoi cette crise va vous transformer professionnellement et personnellement ?
LB : Entant que professionnel je suis conforté dans le choix pris d’avoir développé plutôt des maisons de famille que des hôtels.Je ne pense pas que l’on puisse changer en 4 semaines, on a quelque chose en soi, une intention de faire différemment, que l’on continue à faire grandir.
Personnellement, cette phase vient renforcer la notion de richesse humaine de mes équipes, et qui m’a touchée. Je pense que je vais être encore plus attentif à cela, au-delà de la notion commerciale. Aller au bout du cercle vertueux.
Je pense que demain on va plus aller encore plus volontiers vers quelqu’un qui s’intéresse sincèrement à la personne que vers quelqu’un qui sera resté axé dans la relation commerciale.
Demain on va être encore plus heureux de servir l’autre, “genuine”
La notion de service a été longtemps galvaudée. Servir est un don. Ce don de service que l’on donne, c’est le service rendu par l’investisseur, par le biais des équipes, dans un lieu. Il faut donner aux équipes les moyens d’être heureux de servir.
Tovalea : Ressentez vous la réouverture comme proche ?
LB: je suis confiant sur une ouverture proche, car nous sommes un peuple latin. Ce qui fait que nous somme Français c’est le partage du café, du croissant. Les Français vont vite revenir à la convivialité, que ce soit au coin de la rue ou dans nos hôtels et restaurants.
Tovalea : Comment réfléchissez-vous à la distanciation sociale ?
LB: Il faut mettre les protocoles en place pour s’assurer le bien être équipes et des clients. Il faut qu’il y ait une harmonie organisationnelle forte.
On réfléchit à comment repenser toutes nos procédures.Par exemple, le service à l’assiette ou du Champagne en gardant 1m de distance est un vrai challenge. Cette grave maladie a montré une chose, c’est le respect de l’autre. Quand on voit le sérieux pris par les pays dans le confinement, on ressent un vrai respect.
Je reste convaincu que quelqu’un de malade demain aura une approche différente que quelqu’un de malade hier et je compte pouvoir m’appuyer dessus.
Je suis confiant et optimiste par rapport à nos ressources qui nous permettent de nous remettre en question
Tovalea : avez-vous prévu de former les équipes aux urgences liées au Covid19 ?
LB: L’objectif est que 100% des équipes soient formées aux règles d’hygiène alimentaire, idem sur l’hygiène spa et nettoyage de ces lieux là, ils forment nos basiques.Parallèlement à cela, nos équipes suivront dès que possible une formation aux 1ers secours et une assistance avec les outils premiers secours. C’est notre objectif avant la réouverture de nos hôtels.
Nous avons fait faire 4 masques à 3 couches lavables pour tous nos collaborateurs. L’idée est que les équipes soient confortables aussi en les portant
Enfin, je préfère opter pour un lavage des mains toutes les 30 minutes au savon anti-bactérien. Utiliser des gants, c’est polluer la planète. Se laver les mains est un bon geste basique qu’il faut garder.
Le mot de la fin…
J’avais envie de partager une question sur la Vie par ce message clairvoyant phrase du philosophe Pierre Hadot qui nous a rappelé, il y a peu, que la philosophie, pour les anciens, n’était pas seulement théorie.Elle ne consiste pas dans un acte de pure connaissance ou de réflexion sur les conditions de la connaissance mais dans une attitude concrète, dans un style de vie qui engage et une de ces phrases dans son livre “N’oublie pas de vivre”
la vie philosophique ne consiste pas uniquement dans la parole et l’écriture, mais dans l’action communautaire et sociale. C’était déjà l’opinion d’Épictète et de Marc Aurèle. C’est aussi dans cette perspective de l’agir qu’il faut comprendre la maxime goethéenne “N’oublie pas de vivre..